
« La remontée des prix traduit l’évolution du statut que l’on accorde à la nourriture », embraye Philippe Baret, professeur d’agronomie à l’UCLouvain. « Cette idée que la nourriture ne serait au fond que des calories et qu’il faudrait viser le prix le plus bas – donc une nourriture à bon marché – est progressivement remise en cause. On ne trouve plus de poulet à bouillir à 1 euro ; et s’il est vrai qu’il reste toujours des produits d’appel, la gamme est large entre le poulet le moins cher et la volaille bio ».
N’empêche : le prix ne reste-t-il pas un déterminant essentiel, pour la plupart des gens ?
« On met trop vite tout sur le dos du consommateur », réplique l’agronome Philippe Baret. « Ainsi, on entend souvent dire que les gens ne mangent plus de bonne viande. C’est un discours simpliste – les modes de consommation évoluent : on mange moins de roast-beef et plus de hamburgers, par exemple. Et inexact », assure-t-il, citant l’exemple du Blanc-Bleu-Belge, qui, malgré les campagnes de promotion menées depuis quelques années, a moins la cote, en particulier auprès de consommateurs disposant d’un peu de moyens, qui lui préfèrent des viandes plus « qualitatives » ou présentées comme telles.
Les années 90: le plus de viande possible aussi vite que possible
« Le Blanc-Bleu est à la fois une mythologie et une catastrophe industrielle », explique ainsi Philippe Baret. « Le Blanc-Bleu avait un énorme potentiel, mais le secteur s’est fourvoyé dans les années 90. A l’image d’une viande saine et pauvre en graisse correspond, dans la réalité, un modèle économique où il s’agit de produire le plus de viande possible aussi vite que possible – le même modèle que le poulet bon marché. On abat ainsi les bêtes à 19 mois, car c’est le plus rentable au point de vue économique. Mais la viande de ces taurillons a peu de goût. Ce modèle n’a plus d’avenir. »
Est-ce à dire que l’élevage n’aurait plus guère d’avenir chez nous ?
Pas du tout, assure Philippe Baret. « La Wallonie reste une terre d’élevage, à condition de miser sur les spécificités régionales – autrement dit : sur une viande élevée en prairie, comme la Bleue des prés , des vaches Blanc-Bleu âgées d’au moins 30 mois qui donnent une viande bien plus goûteuse. D’autres filières, avec des races françaises, ont également un vrai potentiel pour le terroir wallon. »
« A force de tout ramener à la question du prix au consommateur, on oublie le rôle joué par les intermédiaires et les coûts souvent cachés de notre modèle agricole, comme l’importation de sojas d’Amérique latine ».
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